In Memoriam Jacques Gernet

Jacques Gernet (1921-2018)

Jacques Gernet

Jacques Gernet s'est éteint à Vannes le 3 mars dernier, dans sa quatre-vingt-dix-septième année. Sinologue de renommée mondiale, il a été titulaire de la chaire d'Histoire intellectuelle et sociale de la Chine au Collège de France de 1975 jusqu'à sa retraite en 1992, et membre ordinaire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis 1979. Né en 1921 à Alger, où son père, l'helléniste Louis Gernet (1882-1962), enseignait à la faculté des lettres, il y obtient une licence de lettres classiques et un diplôme d'études supérieures en 1942, avant d'être mobilisé jusqu'à la fin de la guerre. À la suite de celle-ci, il étudie le chinois à l'École nationale des langues orientales vivantes et à l'École pratique des hautes études (IVe section), sous la direction de Paul Demiéville (1894-1979), à qui il succèdera au Collège de France. Diplômé de l'École pratique en 1948, il devient membre de l'École française d'Extrême-Orient et séjourne à Hanoï en 1949 et 1950. C'est à l'occasion de ce séjour qu'il entreprend un voyage au Yunnan, pour son premier contact physique avec cette Chine à laquelle il consacrera le restant de sa carrière professionnelle.
Docteur ès lettres en 1956, il a enseigné à l'École pratique des hautes études (VIe section) d'abord, puis à l'École des hautes études en sciences sociales, de 1955 à 1976. Parmi ses contributions à l'enseignement, on notera aussi ses cours de langue et civilisation chinoises à la faculté des lettres de la Sorbonne (1957) et plus encore la fondation, en 1968, de l'unité d'enseignement et de recherche des langues et civilisations de l'Asie orientale à l'université Paris VII, qu'il dirigea jusqu'en 1973.
Enseignant dévoué et exigeant, il a été un chercheur passionné et rigoureux, portant une attention minutieuse aux sources et à leur contexte. La richesse et la diversité de sa production bibliographique témoignent, en plus de son immense érudition et de la multiplicité de ses centres d'intérêt, d'une aisance dans le maniement de la langue et dans l'écriture qui ont valu à quelques-uns de ses travaux majeurs - que l'on pense à La vie quotidienne en Chine à la veille de l'invasion mongole (1959), au Monde chinois (1972) ou à Chine et christianisme, action et réaction (1982) - de rencontrer un accueil après du grand public, en France et à travers le monde, par l'entremise des traductions dont ils firent l'objet dans de nombreuses langues, dont le japonais, le chinois et le coréen. Esprit vif et curieux, il s'est beaucoup inspiré d'autres disciplines, ce dont témoigne déjà sa première œuvre majeure, Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du Ve au Xe siècle, parue aux éditions de l'École française d'Extrême-Orient (1956). Par la suite, et sa vie durant, il demeura un ardent défenseur de l'ouverture des études chinoises aux avancées des sciences humaines et sociales.
Avec la disparition de Jacques Gernet, le monde académique perd non seulement un des derniers géants de la sinologie du XXe siècle, mais aussi un passionné de la langue, de la culture et de la civilisation de la Chine.

Luca Gabbiani