Jean Boulbet (1926-2007)

par François Bizot

Jean Boulbet

Jean Boulbet

Jean Marcel Boulbet s'est éteint le 11 février 2007, à l'âge de 81 ans, dans sa maison de Patong, sur l’île de Phuket, en Thaïlande. Il laisse deux enfants, Laure, née au Sud Vietnam, et Marc-Udom, né à Phuket. Son existence fut entièrement dominée par l’observation de terrain, par l’interrogation constante sur les hommes et la forêt, par l’étude des interférences humaines sur le paysage, avec l’idée générale que « Tout étant désigné du dehors, beaucoup de jugements sont faussés à la base alors qu’ils apparaissent rétablis dans leur évidence si l’on part du milieu originel». Au moment de sa mort, parmi diverses notes inachevées et des centaines de photos, il laissait le manuscrit du troisième tome de ses mémoires (Tome 1 et 2, Seven Orients 2002, 2003), portant sur la dernière période de ses activités en Thailande

Jean Boulbet était né à Ste Colombe-sur-l’Hers (Aude), le 2 janvier 1926. Engagé volontaire en 1944 dans la Première armée française, puis en 1945 dans la 9e DIC, il fut débarqué à Saïgon et démobilisé sur place, où il devient planteur de thé et de café sur les Hauts-Plateaux. C’est dès 1946 que ce cartographe dans l’âme explore les terres de l’intérieur et qu’il découvre les Cau Maa’, population proto-indochinoise encore insoumise, auprès desquels, pendant plus de quinze ans, il acquière ce sens extrême des plantes, de la faune, de la nature, des déséquilibres, des hommes et de leurs interdits, qui va marquer son oeuvre et faire de lui un être à part («Quelques aspects du coutumier ndri des Cau Maa’», BSEI 1957; «Trois légendes maa’» France-Asie 1957; «Découverte d’un troisième lithophone préhistorique en pays Mnong Maa’», avec G. Condominas, L’Anthropologie 1958; «Description de la végétation en Pays Maa’», BSEI 1960; «Bördee au Rendez-Vous des Génies», BSEI 1960; «Introduction à l’étude de la forêt dense», avec J. P. Barry, Annales de la Fac. Sc. de Saigon, 1960).

Boulbet et Gabaude

Jean Boulbet et Louis Gabaude

Obligé de quitter le Vietnam en 1963 à cause de la guerre, il obtient à Phnom Penh une licence de géographie, puis passe son diplôme de l’École pratique des Hautes Études sous la direction de L. Bernot et G. Condominas. En 1964, il est recruté par l’École française d’Extrême-Orient et rédige la suite de ses études au Vietnam («Modes et techniques du Pays Maa’», BEFEO 1965; «Le Miir culture itinérante avec jachère forestière en pays Maa’» BEFEO 1966; «Génocide sur les minorités au Sud-Vietnam», Études Cambdogiennes 1967; Pays des Maa’, Domaine des génies, PEFEO 1967; «Femmes Budih et apsaras d’Angkor Vat» Arts Asiatiques 1968; «Le gibbon», Nokor Khmer 1969; «Le décor forestier» Nokor Khmer 1970; Dialogue lyrique des Cau Maa’, PEFEO 1972). Il est détaché à la Conservation pour s’occuper du parc forestier d’Angkor et des sites extérieurs.

Devenu membre de l’École française d’Extrême-Orient en 1968, il décide de s’installer au Phnom Kulen, situé entre la dépression centrale du Grand Lac et l’immense pédiplaine du Cambodge septentrional, dont l’échine gréseuse, d’environ 500 mètres d’altitude, avait provoqué l’apparition d’un milieu bio-géographique exceptionnel. En déversant sur Angkor une rivière permanante sortie de son sommet et consacrée dès l’aube du IXe siècle, le Haut Lieu était devenu le chateau d’eau surélevé nécessaire aux établissements religieux et économiques des grands rois de l’empire khmer. Jean Boulbet en fit l’étude exhaustive, tant du point de vue des villageois qui l’habitaient, de son paysage vierge pourtant marqué par l’histoire, que sous les angles de la mythologie, de l’archéologie et du religieux («Phnom Kulen», Études cambodgiennes 1968; «Kbal Spean, la rivière aux mille linga», Nokor Khmer 1970; «Les sites archéologiques de la région du Bhnom Gulen», avec B. Dagens, Arts Asiatiques 1973; «Phnom Kulen, paysage rural particulier au Cambodge», Études rurales 1974; Paysans de la forêt, EEFEO 1975).

En 1970, délogé du site des temples par l’invasion vietcong, il quitte son implantation du Phnom Kulen et va poursuivre ses recherches à Battambang, d’où il est expulsé vers la Thaïlande par les Khmers rouges, en 1975. Là, c’est à Nanthabury qu’il se fixe provisoirement, près de Bangkok, avec l’intention de parcourir son nouveau pays d’accueil, en quête d’un lieu idéal pour s’enraciner quelque part.

À l’occasion de ces années d’errance, propices à une réflexion plus large, il réalise son rêve de voyages dans d’autres zones équatoriales et tropicales (Indonésie, Malaisie, Inde, Afrique centrale, Amérique du Sud), pendant lesquels, par comparaison, il approfondit sa pensée sur le milieu et les conditions qui caractérisent l’Asie du Sud-Est, sur l’alternance nette des deux saisons qui y font naître le régime des moussons, auxquelles s’ajoutent les effets d’une continentalité relative qui isole et protège pour rendre, au sens large, cette unité géographique telle qu’elle est depuis des siècles, mais aussi, bientôt, à cause des hommes et de leurs aménagements, telle qu’elle va devenir (Évolution des paysages végétaux en Thaïlande du Nord-Est, PEFEO 1982; Forêts et Pays, PEFEO 1984). 

En 1978, il établit définitivement son domicile à Phuket et se marie. Dans un premier temps, il achève ses travaux laissés en chantier au Cambodge (Le Phnom Koulen et sa région, PEFEO 1979), puis reprend, sans pessimisme, ses recherches sur les hommes, ici ceux des forêts du Sud mais aussi de la mer, avec un regard renouvelé, dans un monde qui n’aura jamais cessé de changer sous ses yeux (Phuket, Sangwan Surasarang Bangkok 1979, 2e éd. augmentée 1984; «Notes sur l’image de la mer chez les Cau Maa’» Asie du Sud-Est et Monde Insulindien 1983; «Découvrir ou retrouver», ASEMI 1984; Un héritage étrange: les roches peintes. Sites inédits de Thaïlande du Sud, Bangkok 1985; Phuket, Réserve de faune et de flore, avec Nophadol Briksavan, Andaman Press 1986; Phuket, Image satellite Spot et son exploitation de terrain, CNES 1988; Vers un sens de la Terre, Prince of Songkla University 1995).

Jean Boulbet compte aujourd’hui parmi les savants qui ont fait la grandeur de l’EFEO et de la France. Il laisse l'image d'un coureur des bois sans égal, d'un chercheur insatiable, d’un compagnon fidèle, d'un homme, enfin, pour ceux qui l’ont côtoyé, dont l’approche fut un immense privilège.

@ École française d'Extrème-Orient 2007
Conception : Bibliothèque de l'EFEO (Paris)
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