In Memoriam Claude Jacques

Claude Jacques (19/03/1929 - 20/02/2018)

Claude Jacques

Le Professeur Claude Jacques, éminent épigraphiste et historien du Cambodge ancien, nous a quittés le 20 février dernier dans sa 89e année. Il rejoint la lignée des grands maîtres dont il fut l’élève : George Cœdès, Louis Dumont, Jean Filliozat, Paul Mus, Louis Renou.

Claude Jacques a été membre de l'EFEO, de 1963 à 1973, essentiellement à Phnom Penh jusqu’en 1970 où il enseigna à la Faculté des Lettres puis à la Faculté d’Archéologie dont il avait contribué à la création en 1965, et où il assura un temps l’intérim de la direction du Musée National. Chargé de conférences à l'École pratique des hautes études dès 1964, il est élu Directeur d’études en 1973, et y poursuit son enseignement jusque dans les années 2010, bien après sa retraite, notamment avec Gerdi Gerschheimer dans son séminaire « Religions de l’Inde ». Son enseignement le mène aussi à Bangkok en 1979 pour encadrer avec Uraisi Varasarin le mémoire épigraphique de Son Altesse Royale la Princesse Maha Chakri Sirindhorn. 

Incité par Bernard-Philippe Groslier à se tourner vers l’épigraphie khmère en 1959 lors de son premier séjour en Asie, à Pondichéry, Claude Jacques s’est inscrit dans la continuité des travaux épigraphiques de George Cœdès, publiant régulièrement une série d’« Etudes d'épigraphie cambodgienne » dans le BEFEO, assurant la mise à jour de l’inventaire des inscriptions, y compris au-delà des frontières actuelles du Cambodge, et en contribuant à partir de 2002 au programme du Corpus des inscriptions khmères (CIK). Mais Claude Jacques a aussi nettement élargi son travail d’épigraphiste dans les années 70, en abordant des questions de chronologie et de développement urbain, qui l’éloigneront de Bernard-Philippe Groslier, mais le mèneront à s’intéresser progressivement aux travaux archéologiques et architecturaux, de la télédétection à la restauration. Il y voyait un moyen privilégié pour éclairer les nombreuses zones d’ombres qui ponctuent l’histoire angkorienne, pour réviser l’état des connaissances et tester la solidité de certaines reconstructions historiques. Il a ainsi proposé nombre de nouvelles hypothèses, échafaudant des alternatives parfois fragiles, mais qui visaient toutes à présenter une certaine logique qu’il se plaisait à trouver dans l’histoire. 

Au-delà de ses productions académiques, qui faisaient de lui une autorité en matière d’épigraphie et d’histoire du Cambodge ancien, Claude Jacques avait su aussi faire œuvre de vulgarisation en produisant ces trente dernières années plusieurs ouvrages, souvent richement illustrés, qui sont dorénavant des classiques, notamment son guide d’Angkor. Il cherchait à faire sens d’un vaste ensemble de connaissances bien établies, tout en y mêlant ses dernières hypothèses. 

Il s'était aussi personnellement impliqué dans la renaissance d'Angkor dès la fin des années 80 en accompagnant la fondation de l’Association des amis d’Angkor en 1988 et en réalisant pour elle une mission au Cambodge en 1989, puis au début des années 1990 en participant aux discussions préliminaires sur Angkor présidées par Laure Adler, conseillère culturelle de François Mitterrand. Claude Jacques a aussi participé à la conception du plan d'aménagement et de sauvegarde du site (ZEMP) après son inscription au Patrimoine mondial en décembre 1992. Depuis, nommé conseiller spécial par Federico Mayor, directeur général de l'UNESCO, il était un membre aussi actif que familier des nombreuses séances du Comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d’Angkor créé en 1993. Soulignant régulièrement la fragilité de nos connaissances historiques sur l’empire khmer, il y a continuellement prôné la nécessité de développer les recherches et l’importance de la prise en compte de l’archéologie dans les divers programme et travaux en cours.

Le 29 juin 2017, Sa Majesté le roi Norodom Sihamoni, Roi du Cambodge, avait conféré à Claude Jacques la dignité de Grand-Croix de l’Ordre Royal du Sahamétrei, en reconnaissance de sa contribution à l’histoire et à la culture khmères.

Au-delà, il était un savant toujours à l'affût des nouvelles découvertes et à l'écoute du « terrain », collaborant étroitement avec la communauté des chercheurs et tout particulièrement avec l’EFEO dont il connaissait bien des épisodes de son histoire, souvent savoureux, et pour laquelle il avait une affection toute particulière. Professeur estimé pour son caractère aimable et bienveillant, son tempérament enjoué doublé d’un esprit fin et alerte en faisait également un collègue particulièrement apprécié.

Il était avide des informations que les nouvelles générations révélaient à Angkor, toujours enclin à y trouver matière à réflexion, autant pour confirmer certaines de ses hypothèses que pour les remettre en question. Encore dernièrement, il se passionnait pour les récentes découvertes archéologiques qui tendent à faire remonter la fondation d'Angkor de deux siècles, bien qu'elles perturbaient profondément ses précédents écrits. Il était aussi le premier à souligner les répercussions historiques majeures qu’il faudra tirer de données épigraphiques contenues dans des nouvelles inscriptions inédites, par exemple pour l'identification de temples majeurs à Angkor, ou pour la réhabilitation d'un ancien souverain tel que Tribhuvanādityavarman, jusqu'alors considéré comme un usurpateur sur la base des inscriptions laissées par son successeur, le fameux roi Jayavarman VII. Claude Jacques tentait alors d’écrire « une vérité éventuelle, pas forcément la vérité ». En concluant un hommage à son maître George Cœdès, Claude Jacques écrivait, sans doute aussi pour lui-même : « Je crois que la plus mauvaise façon d'honorer nos maîtres est de respecter à la lettre ce qu’ils ont dit ou écrit [...] N'oublions donc pas que, heureusement, nos élèves et disciples, viendront nous corriger à leur tour, comme en tant que chercheurs ils en auront le devoir … ». 

L’EFEO adresse ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches.