Cahiers d'Extrême-Asie, 15, 2005

Revue bilingue de l'École française d'Extrême-Orient section de Kyôto

Résumé

Françoise ROBIN,
Note préliminaire concernant les imprimeries non monastiques au Tibet

The structure and organisation of the world of books in Tibet is a field of study that is barely explored. Apart from the noble families in Lhasa, who were active in publishing before 1959, few researchers are aware that there were a number of private printing houses in the capital city of Tibet, amongst which that of Chos kyi rgyal mtshan (1897-?). This article takes the catalogues of several of these printing houses as a basis of study, concentrating especially on the abovementioned printer. In this way a portrait of the man, and his work, during a critical period of Tibetan history from the 1920s through to the mid-1950s is presented. .

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Orna ALMOGI,
Analysing Tibetan Titles: Towards a Genre-based Classification of Tibetan Literature

Cet article porte sur les titres des ouvrages littéraires tibétains, en particulier sur les critères qui ont présidé à leur choix et sur leurs incidences pour les bibliothécaires ainsi que sur les lecteurs de littérature tibétaine. La première partie présente les théories des auteurs tibétains contemporains et passés relatives aux titres littéraires. Tout d'abord, les deux points qui sont souvent présentés dans les sources traditionnelles, à savoir la nécessité d'un titre et les critères de son choix, sont présentés. Par ailleurs, l'opinion récemment exprimée par un auteur tibétain contemporain sur la différence entre le mode traditionnel du choix d'un titre et le mode actuel (au regard de la poésie moderne) est analysée. Dans la seconde partie, les titres tibétains littéraires sont analysés et évalués en tant que vecteurs potentiels d'information permettant la détermination du genre littéraire (en termes de fond et de forme) Dans ce contexte, les titres descriptifs et ornementaux sont discutés. Cette partie se conclut avec une brève allusion à l'importance des différents types de titres, qui tous peuvent être utiles aux différents genres littéraires. Les différents titres et leur signification sont discutés dans l'appendice. Ces titres incluent les titres originaux, tels que ceux écrits dans le colophon de l'auteur, les titres éditoriaux trouvés sur la page de garde, dans les marges, dans les index, etc. ainsi que ceux qui sont bien connus et d'un usage répandu. En conclusion sont discutés les titres sanskrits des ouvrages tibétains .

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Jean-Luc ACHARD,
Le Tantra des Vingt-Deux Perles de l'Esprit de Parfaite Pureté : un exemple d'intertextualité entre les traditions Bon po et rNying ma pa

This paper deals with an important literary phenomena known as intertextuality, occurring between the Bon po and rNying ma pa traditions of rDzogs chen. Usually, the main tendency in modern western Tibetology has been to envision the Bon po as plagiarists but recent studies have shown the contrary, at least as far as rDzogs chen literature is concerned. For example, one collection of works known in the Bon po tradition as the Triple Proclamation of the Great Perfection (rDzogs chen bsgrags pa skor gsum) has been the object of several "borrowings" from the rNying ma side, as shown in the present article in which a text of this collection is described, critically edited and annotated with the two available "Buddhist" versions of the same text. The issue of intertextuality is important since the image of the Bon po tradition has been rather depreciated by a long tradition of Tibetan Buddhists authors whose critics are often unfounded, mostly exemplifying the lack of knowledge these writers have of Bon.

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LIN Shen-Yu,
Tibetan Magic for Daily Life: Mi pham's Texts on gTo-rituals

Mi pham (1846-1912), maître de l'école rNying ma, est célèbre pour sa connaissance en philosophie bouddhique, principalement pour ses vues uniques sur le Madhyamaka. Sa contribution en d'autres domaines des sciences et de la culture tibétaine est également reconnue. Les oeuvres de Mi pham contiennent un grand nombre de textes relatifs à différents aspects de la civilisation tibétaine. Certains de ses écrits sont consacrés au rituels gTo et n'ont pas encore été analysés. Les rituels gTo jouent un rôle important dans la vie quotidienne des Tibétains ordinaires. Ils sont utilisés comme des méthodes magiques servant à retourner une situation difficile afin d'en faire une situation favorable. Ils servent aussi à exercer une action sur toutes sortes de problèmes tels que la maladie, les maux démoniaques, les conflits, les pertes de bétail et à assurer les succès relatifs au mariage, à la naissance et au développement des enfants, aux compétitions, aux travaux de construction, aux récoltes, etc. Résultats d'un long développement inspiré par les cultures indienne et chinoise, ces rituels sont un mélange de composants bouddhiques, de créations intellectuelles chinoises et de traditions indigènes. Il faut souligner que les rituels gTo étaient traditionnellement tenus secrets, que les écrits sur ce sujet étaient rares et que leur pratique demande une connaissance particulière des textes. En analysant les écrits de Mi pham sur les rituels gTo, nous mettons en évidence la tradition prébouddhique tibétaine, et la volonté des maîtres non affiliés à une secte précise de préserver la culture tibétaine indigène à travers ces publications;

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YOSHIMITZU Chizuko,
A Tibetan Buddhist Text from the Twelfth Century Unknown to Later Tibetans

Le système dbu ma (Madhyamaka) des premiers maîtres tibétains a toujours été reconstruit en se fondant sur une transmission tardive ; en effet, seuls un petit nombre de leurs écrits sont accessibles. En dépit de son développement tardif, la première interprétation du système du thal 'gyur ba (*Prasa?gika), qui vient des écrits du grand traducteur Candrak¥rti, Pa tshab Nyi ma grags (1055-), est toujours sujette à caution. Ses écrits et ceux de ses disciples semblent avoir été partiellement perdus bien avant le XVe siècle ; les érudits tibétains plus tardifs semblent ne pas avoir eu connaissance de ces textes. Un manuscrit récemment découvert, la dBu ma tshig gsal gyi ti ka, long commentaire sur la Prasannapadå de Candrak¥rti et court commentaire sur les MËlamadhyamakakårikå de Någårjuna, révèle au grand jour l'histoire ancienne de la tradition tibétaine du dbu ma thal 'gyur ba. Le manuscrit, composé de 99 feuillets écrits en dbu med, montre des orthographes et des particularités paléographiques de la période archaïque. Cette oeuvre, d'après son colophon, est attribuée à Zhang Thang sag pa Byung gnas ye shes (alias Ye shes byung gnas), connu pour avoir été l'un des disciples principaux de Pa tshab Nyi ma grags et pour avoir vécu entre la seconde moitié du XIe siècle et la première moitié du XIIe siècle. Bien que son nom soit souvent mentionné par les Tibétains des époques ultérieures, on peut douter qu'ils aient eu accès à ses écrits. De plus, son commentaire sur le Prasannapadå n'est jamais mentionné. Les érudits Gelugpa discréditèrent ce Thang sag pa en lui attribuant le point de vue selon lequel le thal 'gyur ba n'accepte ni de façon ultime ni de façon conventionnelle l'existence, alors que les maîtres Sa skya le respectaient en tant qu'avocat de la théorie dbu ma selon laquelle la réalité ultime est libre des deux extrêmes de l'existence et de la non-existence. Ces deux évaluations, cependant, demandent à être vérifiées à travers les propres écrits de Thang sag pa. Seule une analyse précise de ce dBu ma tshig gsal gyi ti ka permettra de mener cette analyse. Cet article est une première tentative d'éclaircissement des mots et de la pensée de Thang sag pa à travers la lecture et l'édition d'une partie du manuscrit ; partie consacrée au point de vue ultime des enseignements Madhyamaka, en commentant le dix-huitième chapitre du Prasannapadå des MËlamadhyamakakårikå.

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Anne CHAYET,
À propos du Règlement en 29 articles de l'année

The analysis of Tibetan and Chinese legislative and administrative documents, both in a quantitative and qualitative terms, is of major importance to reach a more objective knowledge of Tibetan history and society. This is all the more true for the 18th century, a period when relations between Tibet and China intensified as the increase of official documents-many of them have been preserved-shows. The 1793 imperial edict known as "The 29 articles Resolution" was an event of momentous importance in Tibetan history. It signalled the end of an evolution in the attitudes of Qing rulers towards Tibet in the 18th century and, at the same time, the acme of their interest in Tibetan lands. Besides political, military or economical measures, the Resolution also includes articles that, according to many commentators, show interferences into the religious sphere. The first article of the Resolution is well-known: it stipulates that the appointment of Tibetan pontiffs will from now be made by drawing lots. Yet, other articles establish as well new modes of control on the pontifical families and on the Tibetan clergy in general. In fact, the relatively tolerant attitude of Qing rulers toward Tibetan Buddhism experienced major evolutions throughout the 18th century, and the encroachments of imperial power tended to multiply in various areas. If the Resolution tries to maintain certain Tibetan particularities, it includes at the same time Tibetan affairs within the general framework of imperial polity, of imperial institutions and State management.

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SHEN Weirong,
Studies on Chinese Texts of the Yogic Practices of Tibetan Tantric Buddhism found in Khara Khoto of Tangut Xia [I]: Quintessential Instruction on the Illusory Body of Dream

Dans les cinquième et sixième fascicules des Manuscrits de Khara Khoto conservés en Russie, publiés récemment par une maison d'édition de livres anciens de Shanghai, j'ai par hasard découvert plusieurs textes chinois qui sont certainement des traductions de textes bouddhiques tantriques tibétains, principalement des textes sur les pratiques yogiques de l'existence intermédiaire (bardo). Ces textes sont Menghuan shen yaomen (Doctrines essentielles sur le corps illusoire du rêve), Ganlu zhongliu zhongyou shen yaomen (Doctrines essentielles sur la pratique du corps de Bardo et la voie médiane de l'ambroisie), Zhongyou shen yaomen (Doctrines essentielles de la pratique du corps dans l'existence intermédiaire), Sheshou yaomen (Doctrines essentielles sur la pratique du renoncement à la longévité) et plusieurs autres textes sur les rituels liés à la pratique du Vajravåråh¥ (rdo rje pha mo). Ces textes inédits sont en fait extraordinairement éloquents. Ils doivent, d'abord, être considérés comme les plus anciennes traductions chinoises de textes bouddhiques tantriques tibétains connues aujourd'hui. Dans un second temps, la découverte et l'analyse de ces textes permettront de dévoiler la véritable histoire de l'introduction et de la pratique du bouddhisme tibétain dans le royaume Tangut (1032-1227). Enfin, l'apparition de ces textes rituels tibétains montre que la pratique et la transmission des enseignements de l'état intermédiaire doivent avoir précédé l'avènement de l'enseignement visionnaire Zhi khro dgongs pa rang grol de Karma gling pa et que les enseignements sur l'état intermédiaire avaient déjà atteint le monde chinois il y a six siècles.
Dans ce contexte, je propose de mener une analyse systématique de ces traductions chinoises de textes tantriques tibétains trouvées à Khara Khoto. Premièrement, notre attention portera sur les originaux tibétains de ces traductions chinoises afin d'établir une base textuelle fiable pour ces textes grâce à la collation et à la comparaison de deux versions. Deuxièmement, j'essaierai de situer ces textes dans les différentes traditions bouddhiques tibétaines, de mettre en évidence leur lignée de transmission et éventuellement d'exposer la véritable identité des maîtres tibétains qui introduisirent ces enseignements ésotériques au royaume Tangut. Enfin, je fournirai des exemples et des explications relatives aux enseignements et pratiques enseignés dans ces textes afin de les comparer à ceux révélés dans des textes tibétains identiques.
Je présente ici la première étude d'une série consacrée aux traductions chinoises des textes bouddhiques tantriques tibétains. L'objet de mes recherches actuelles est le texte intitulé Doctrines essentielles sur le corps illusoire du rêve qui est la traduction chinoise de sGyu lus kyi man ngag, une partie d'un long commentaire sur Nå ro chos drug sous le titre rJe dwags po lha rje'i gsung dmar khrid gsang chen bar do'i dmar khrid 'pho ba'i dmar khrid zhal gdams bcas pa bzhus so, écrit par sGam po pa bSod nams rin chen (1079-1153), le maître fondateur de l'école Dwags po bKa' brgyud pa.

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Lauran HARTLEY,
Tibetan Publishing in the Early Post-Mao Period

Cet article traite de l'émergence de textes littéraires modernes tibétains en République populaire de Chine, un développement dont la paternité est d'ordinaire attribuée à la politique plus clémente mise en avant lors de la troisième session plénière du XIe Congrès du Parti communiste en 1978. Alors que le monde de l'édition en chinois a connu un regain littéraire au début de la période suivant la mort de Mao, il apparait que l'édition en tibétain, de 1978 à 1985, se caractérise par la domination des formes littéraires populaires et classiques, en même temps que par une remise en activité de projets éditoriaux mis en oeuvre dans les années cinquante par des savants issus du monde monastique. Ce dernier aspect est de nature à remettre en cause les interprétations dominantes quant à la production culturelle tibétaine au début de la période communiste. La conclusion de l'article porte sur les développements récents de l'industrie éditoriale tibétaine, dans laquelle le mécénat privé aidant aux publications de textes tibétains a refait surface sous des formes nouvelles et où les monastères jouent à nouveau un rôle dominant.

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Carole MCGRANAHAN,
In Rapga's Library: the Texts and Times of a Rebel Tibetan Intellectual

Que signifie " être moderne " dans le Tibet des années 40 ? Dans cet article, j'analyse cette question à travers l'ethno-biographie de Rapga Pangdatsang (1902-1974). Rapga Pangdatsang était un intellectuel tibétain laïque qui désirait une réforme démocratique et moderne du Tibet. Intéressé par les projets nationalistes de la Chine et de l'Inde, il lut beaucoup et chercha des idées politiques applicables au Tibet. Une lecture attentive des textes qu'il a rassemblés et écrits nous permet de saisir de nouveaux aspects du Tibet des années 40, principalement (1) une critique de l'idée selon laquelle le Tibet est isolé des développements politiques mondiaux ; (2) un exemple d'idées progressistes et nationalistes tibétaines relatives à l'État moderne ; et (3) le regard sur le monde d'un intellectuel incompris et de sa famille considérés comme d'effrontés parvenus provinciaux par la société compassée de Lhasa. Associés à l'histoire sociale et à l'ethnologie historique de la famille Pangdatsang, révélés par les sources contemporaines et documentaires, les textes de la bibliothèque de Rapga offrent des traces tangibles d'un sentiment politique différent et engagé à cette période cruciale de l'histoire tibétaine.

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Fabienne JAGOU,
Recherches préliminaires sur les biographies des maîtres tibétains et mongols ayant vécu en Chine à l'époque moderne

The autobiographies written by Tibetan masters who had spent most of their lives between China and Tibet in the beginning of the 20th century are singular documents. They tend to show how literary productions made in connection with those masters depart from tradition in some aspects (authorship, biographical organization) while retaining the main features of the genre in some others (biographies remain an example of spiritual accomplishment). A few autobiographies allow us to distinguish some particular features pertaining to a new literary genre, born under the peculiar circumstances in which Tibetan masters belonging to the prestigious lineage of the dGe lugs pa school had been living. One of these autobiographies, the one of the 9th Panchen Lama (1883-1937), raises many questions concerning both its conception (two volumes exist: one written in 1943, the second one in 1996), and its diffusion (the 1943 version had been missing for a long time until the 1996 version). Other examples such as the autobiography of lCang skya khutugtu, written in Chinese in 1957, complete this study devoted to autobiographies of Tibetan masters in modern times .

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