BEFEO, 92, 2005

Résumés

François VOEGELI
À la recherche du Śamitr̥
Dans l’article qui suit, je tenterai de mieux cerner les contours d’une personnalité assez floue du rituel védique : le Śamitr̥. Ce dernier est surtout connu pour la partie la plus violente de son office : celle de la mise à mort de l’animal sacrificiel au cours des différents sacrifices d’animaux de la religion védique. Comme on le verra, son action n’est de pas limitée, loin s’en faut, à ce geste, si violent soit-il. L’identité et le statut social du Śamitr̥ font l’objet d’un débat qui voit le jour dans les Śrauta Sūtras et qui se poursuit dans les Mīmāmsā Sūtras. Les modalités de ce débat sont fort intéressantes pour notre connaissance de la « moralité » védique et j’exposerai donc les tenants et les aboutissants de cette controverse après avoir procédé à une enquête approfondie sur l’identité du Śamitr̥.

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Charlotte SCHMID
Au seuil du monde divin : reflets et passages du dieu d’Ālanturai à Pullamankai
Cet article présente le temple de Pullamankai, temple cōla de la fin du IXe ou du début du Xe siècle. L’analyse de l’architecture, du programme iconographique et du corpus épigraphique du temple fait apparaître celui-ci comme un espace de rencontres entre plusieurs mondes, où, à travers des formules iconographiques et littéraires tant shivaïtes que vishnouites bien identifiées, se manifeste une divinité particulière. Ce dieu est le Mahādeva d’Ālanturai, ainsi nommé dans les inscriptions du temple et dans l’hymne que le Tēvāram consacre au site, en une correspondance remarquable. L’étude ici présentée analyse en particulier la relation entre les divinités du temple et les dieux pan-indiens ; elle tente aussi de rendre compte de l’unité du projet iconographique et rituel dont ce temple nous paraît être le résultat. Les frises narratives du soubassement sont disposées de façon à souligner la puissance de Śiva, qui s’avère être ici à l’origine d’un cycle consacré au Rāmāyana. Visnu, la déesse à qui on offre la tête du buffle et les différentes formes de Śiva qui animent les murs du temple ne seraient-elles pas, en défi nitive, les différentes formes prises par le dieu d’Ālanturai attaché à cet espace où se dresse le temple ? Les inscriptions forment le second volet de l’étude. Elles sont la marque des fidèles dans l’espace du temple, où ils rendent hommage au dieu en lui donnant des terres qui permettent à la fois à la divinité d’être adorée (grâce au revenu du capital accumulé) et de se constituer en ce monde mortel un territoire spécifique sur lequel régner. La relation entretenue avec le pouvoir central, c’est-à-dire le roi, qu’elle soit artistique, administrative ou financière se révèle changeante au cours des deux siècles où les inscriptions font revivre le temple. Elle confirme ainsi qu’on n’a pas affaire à une fondation royale, hypothèse antérieure qui expliquait le raffinement de la sculpture du temple et l’importance donnée dans l’iconographie à Rāma. La présentation du corpus épigraphique complet du temple que fait le Dr G. Vijayavenugopal nous donne en effet accès à une information précieuse, car nouvelle et très détaillée. Venue du coeur du sanctuaire contenant un linga qui se manifeste aussi sur la face ouest du temple, l’incarnation du dieu s’achève dans ces écrits personnels et datés : ici habite le dieu d’Ālanturai.

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André COUTURE
Urbanisation et innovations religieuses en Inde ancienne
Souvent reléguée dans le domaine des affi rmations gratuites, l’hypothèse du sociologue Weber concernant l’influence du développement des villes et des royaumes urbains sur l’apparition du jainisme et du bouddhisme se sont mises depuis quelques dizaines d’années à éveiller à nouveau l’attention des chercheurs. Cet article présente une revue de quelques travaux récents pointant dans cette direction, à laquelle viennent s’ajouter quelques réflexions plus originales. Après quelques notes rapides sur « Le contexte socio-religieux de l’Inde ancienne » et sur « La seconde urbanisation en Inde du Nord », la troisième partie de ce texte intitulée « Le contexte urbain et les innovations religieuses de la fin du védisme » fait le point sur les transformations du brahmanisme pouvant être liées à l’urbanisation (avec en particulier R. Thapar et P. Olivelle). La quatrième section reprend brièvement la question de la naissance du bouddhisme en contexte urbain avec en particulier H. Härtel, G. Erdösy, D. D. Kosambi, T. Ling, G. Bailey et I. Mabbett. La dernière partie intitulée « Nouveaux ajustements de l’hindouisme à un contexte de villes florissantes » suggère que le contexte urbain peut également aider à mieux situer un personnage aussi énigmatique que Krishna en exploitant des données contenues dans le Harivamsha, un complément du Mahabharata qui pourrait dater des IIe-IIIe siècle de notre ère.

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Jean DELOCHE
Études sur les fortifi cations de l’Inde V. La forteresse de Daulatabad au Maharashtra
À cause de son extraordinaire citadelle naturelle taillée dans le roc, de ses puissantes enceintes, la forteresse de Daulatabad a fasciné les hommes, depuis Ibn Battutah jusqu’à Shajahan et aux voyageurs des XVIIIe et XIXe siècles. Dans la présente étude, on a tenté d’établir la typologie des ouvrages fortifiés, d’identifier les ouvrages de défense et ainsi de préciser l’évolution des techniques militaires avant et après l’introduction des armes à feu. On a montré l’oeuvre des rois hindous yadavas, en particulier leurs travaux gigantesques ; puis les réalisations de la dynastie musulmane des Bahmanis (1347- 1510) qui ont construit la première enceinte, renforcé les ouvrages de la citadelle et élevé le rempart principal de la deuxième enceinte ; enfin, après l’introduction des armes à feu et l’essor de l’artillerie, les innovations des Adil Shahis d’Ahmadnagar (1510-1636) qui ont coiffé les tours flanquantes de cavaliers, construit une faussebraie en avant de la seconde enceinte et entouré la base de la citadelle d’une troisième enceinte, suivant un système de défense très élaboré.

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Frédéric GIRARD
Shunjō restaurateur des préceptes disciplinaires au XIIIe siècle au Japon
Le présent article est la traduction de la seconde partie de la biographie la plus fiable du moine Shunjō (1166-1227), personnage qui s’est rendu en Chine au début du XIIIe siècle durant une décennie (1199-1211). Cette section finale de sa biographie rapporte ses faits et gestes dans la capitale, Kyōto, où il a rapporté des textes relevant de presque toutes les écoles et dispensé les enseignements qu’il avait étudiés de près sur le continent. Il apparaît que l’oeuvre de Shunjō répond clairement aux attentes du clergé et des autorités de son époque, en particulier celle de réformer les milieux monastiques du point de vue de la discipline. Tel avait été le but des voyages en Chine d’un religieux comme Eisai (1141-1215), pour ne citer qu’un exemple célèbre. La présente étude cherche à circonscrire la place et le rôle qu’a pu jouer Shunjō à partir du centre de rayonnement qu’était le Sennyūji de Kyōto où il s’était installé, et l’influence qu’il a pu exercer tant dans le clergé de Kyōto que dans celui de Nara qui sont traditionnellement concurrents et opposés. Ce personnage, dont l’oeuvre écrite est pourtant très modeste, semble avoir pesé un certain poids dans l’évolution de l’histoire du bouddhisme, en raison des connaissances nouvelles qu’il apportait du continent, tant sur le plan religieux que profane, et des réactions qu’il a suscitées. C’est, par exemple, en opposition avec son éclectisme que Dōgen a voulu élaborer une forme de Dhyāna épuré et donné aux règles disciplinaires une interprétation non formaliste.

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Yannick BRUNETON
Les institutions « hors codes » de Koryŏ (918-1392). Le bouddhisme et la construction de l’État dans la Corée médiévale
Au cours de la dynastie des Wang (918-1392) du pays de Koryŏ, l’État et les écoles monastiques bouddhiques se construisirent par un jeu d’influences réciproques. Il en résulta des aménagements du modèle institutionnel originel calqué sur celui des Tang (618-907). L’étroitesse des relations entre État et bouddhisme aboutirent au développement de nombreuses institutions « hors codes (des Tang) », principalement représentées par le « conseil provisoire » togam. Ces structures incarnaient dans l’administration l’idéologie d’un bouddhisme « protecteur de l’État » et supportaient une liturgie abondante, participant au culte de la dynastie. Ces conseils togam apportèrent souplesse et efficacité au fonctionnement de l’État, devenant l’instrument des principales réformes politiques et économiques. Les institutions « hors codes » favorisèrent également la prospérité économique et les échanges, la diffusion de pratiques « capitalistes » et la redistribution des richesses. Ainsi, des modes propres d’organisation du monde monastique, hérités en partie du Grand Silla (668-935), influèrent sur la construction de l’État. Cependant, l’histoire officielle, ancienne et moderne, ne rend compte de ce phénomène que de manière lacunaire, laconique et étouffée, posant un problème majeur dans l’historiographie coréenne « médiévale ».

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Claudine SALMON
Opacité du commerce entre Canton et Huế. Une mystérieuse affaire de cloche (1693)
Cet article cherche à éclaircir le mystère entourant une cloche de 1693 qui a attiré l’attention de l’auteur lors d’une visite au Musée d’histoire de la province du Guangdong 廣東 à Canton, en 2003. Bien que fondue sur ordre du souverain Nguyễn Phúc Châu 阮福淍, elle semble ne jamais avoir quitté le territoire chinois ; après avoir détaillé l’inscription qui figure sur la cloche, cette étude tente d’identifier celui qui pourrait être à l’origine de ladite inscription et de voir quels liens il a pu entretenir avec le moine Dashan. Celui-ci exerçait la fonction d’abbé quand, en 1694, il fut mandé par le prince Nguyễn pour se rendre à Huế, où il se livra à un commerce fructueux et tissa de nombreuses relations. Enfin, l’article évoque la situation politique et économique ainsi que le commerce extérieur à Canton à cette époque afin de comprendre pourquoi la cloche n’a pu quitter le sol chinois. Cette démarche invite à entreprendre une étude critique des sources épigraphiques et livresques vietnamiennes qui, soit contiennent des incohérences internes, soit sont en contradiction avec les sources chinoises.

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MAK PHOEUN et PO DHARMA
La troisième intervention vietnamienne au Cambodge (1679-1688)
La troisième intervention vietnamienne au Cambodge débuta en 1679 avec l’arrivée sur le territoire viêt contrôlé par les Nguyên de militaires chinois qui avaient quitté leur pays après la défaite des Ming. Craignant qu’ils ne menacent son autorité, le seigneur Nguyên s’en débarrassa en les dirigeant vers le Cambodge et en installant un poste militaire à Prei Nokor (Sài-côn), en plein territoire khmer. S’ensuivit alors dans ce pays, de 1682 à 1688, une « phase militaire » qui opposa les partisans du roi Jayajetthā III et ceux de l’ubhayorāj Padumarājā. Mais alors que les textes ne faisaient état pratiquement que d’unités viêt envoyées par les Nguyên pour épauler l’ubhayorāj khmer, cette fois ce sont surtout les Chinois anciens partisans des Ming précédemment évoqués, que les textes mettent en avant. Si plusieurs documents khmers et occidentaux font jouer à ces Chinois un rôle déterminant à côté de troupes viêt en faveur de l’ubhayorāj, un certain nombre d’entre eux mentionnent aussi la présence de troupes siamoises dans le camp du roi Jayajetthā III. En revanche, aucun texte vietnamien ne parle d’un engagement de troupes viêt au Cambodge pendant cette période.

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Pascal ROYÈRE
Histoire architecturale du Baphuon. Éléments pour une nouvelle chronologie de la construction du temple
Le présent article consiste à mettre en évidence les récentes découvertes concernant l’histoire architecturale du temple du Baphuon à Angkor (Cambodge). Avec le soutien d’une analyse archéologique rigoureuse des abords du temple et des méthodes de construction des maîtres d’oeuvres du XIe siècle, l’ensemble des vestiges est passé en revue et permet d’envisager une remise en perspective des différentes séquences de construction du temple. Parmi les résultats importants, on notera une inversion des chronologies jusque-là admises, grâce à la mise en évidence des vestiges d’un temple antérieur à la construction de la pyramide, ouvrage remanié pour permettre l’implantation du temple-montagne tel qu’il apparaît de nos jours. Enfin, loin d’être considéré comme des résultats figés, ces nouveaux enseignements relatifs à l’emprise du temple ouvrent de nouvelles perspectives pour la compréhension des différentes étapes de formation de l’espace central d’Angkor Thom.

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Christophe POTTIER et Rodolfo LUJÁN-LUNSFORD LUNSFORD
De brique et de grès : précisions sur les tours de Prah Kô
L’article présente un examen approfondi des détails constructifs du temple de Prah Kô à Roluos (aux environs d’Angkor). Depuis plusieurs décennies, ce type d’analyse a été utilisé avec succès sur plusieurs monuments angkoriens en grès : il est ici appliqué à des structures appareillées en brique. Dans le cas de Prah Kô, l’observation et l’intégration des détails de mise en oeuvre révèlent l’existence de divers états du monument, de changements de partis architecturaux et de travaux de « rénovation » anciens qui mettent en évidence le caractère fortement composite de ce temple. Cette réelle complexité architecturale et historique soulève de sérieux problèmes pour ce temple en apparence si bien daté et qui, jusqu’alors, était considéré comme tellement homogène qu’il donna son nom au premier style de la période angkorienne. L’article réexamine alors l’histoire de ce monument en fonction des données architecturales, stylistiques et épigraphiques disponibles, tout en soulignant les limites de cette analyse classique.

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Dan PENNY, Christophe POTTIER, Matti KUMMU, Roland FLETCHER, Ugo ZOPPI, Mike BARBETTI, TOUS Somaneath
Hydrological History of the West Baray, Angkor, revealed through Palynological Analysis of Sediments from the West Mebon
En marge de ses spectaculaires monuments, Angkor, capitale du Cambodge ancien, se caractérise par un vaste réseau de canaux, de digues et de réservoirs. La fonction de cette infrastructure hydraulique et son rôle dans le déclin et l’abandon d’Angkor sont toujours sujets à débat. Cet article présente de nouvelles informations paléo-botaniques recueillies au Mebon occidental, un petit temple situé au centre du réservoir du Baray occidental. Le Mebon occidental est un endroit crucial pour saisir l’histoire hydraulique du Baray occidental et de son réseau de canaux et de digues qui recouvrent l’aire en amont, au nord et au nord-ouest. La connexion entre le Mebon et son Baray permet de considérer que le sédiment accumulé au Mebon a gardé la trace des plantes aquatiques qui s’y sont développées et de leur évolution en fonction des niveaux d’eau présents dans le Mebon, et donc dans le Baray. L’analyse palynologique indique une nette réduction du volume d’eau stocké dans le Baray occidental à partir de la fin du XIIe siècle, reflétant peut-être un changement des techniques ou des capacités à stocker, à transporter et à utiliser l’eau. Que le Baray occidental ait eu des niveaux d’eau bas depuis le début du XIIIe jusqu’à la fin du XVIe siècle présente des implications importantes pour le débat sur la fonction des grands Baray en particulier, et sur la Cité Hydraulique en général.

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