Résumés / Abstracts

Hubert DURT

"Du lambeau de chair au démembrement. Le renoncement au corps dans le bouddhisme ancien".

Un enfant princier, Sujâti, offre son corps à ses parents affamés, mais aussi à des animaux rôdeurs. Un bodhisattva, Sadâprarudita, empêché par pauvreté de rendre hommage à un bodhisattva supérieur, se met en vente pour fournir les parties de son corps exigées par un sacrifice humain. Le même bodhisattva et ses compagnes s’ouvrent les veines pour que leur sang purifie un sanctuaire de la Prajñâ. Ces trois épisodes sanglants illustrent, au début de l’ère chrétienne, une ferveur ascétique de renoncement au corps qui prit place dans la sensibilité bouddhique telle qu’elle nous est connue par une littérature conservée en sanskrit et en traduction chinoise. Dans un contexte où les dieux Šakra et Mâra se livrent à leurs rivalités habituelles, ces récits sont visiblement inspirés du sacrifice communiel connu notamment par des allégories confinées au règne animal. On y remarque aussi l’accent mis sur le sang qui se transforme en lait ou, ce qui est plus original, qui purifie. Exemples de vertu sublime, ces récits éclairent certains aspects de l’ascétique altruiste du Mahâyâna.

" From scraps of flesh to dismemberment. Renunciation of the body in early Buddhism"

Prince Sujâti as a child fed with his own body not only his own starving parents but also wild beasts. A bodhisattva, Sadâprarudita, was prevented by his poverty from offering homage to a higher bodhisattva and sold himself to provide the body parts needed for a human sacrifice. The same bodhisattva and his young women companions opened their veins in order to purify a sanctuary of Prajñâ with their own blood. Probably written down about two thousand years ago, these three gory episodes illustrate an ascetic fervour for renouncing the body that is discernible in Buddhist emotional life as it is recorded in stories preserved in Sanskrit and in Chinese translations. In a context in which the gods Šakra and Mâra indulge in their usual rivalry, these tales are obviously inspired by the kind of sacrifice for the community known primarily through allegories drawn from the life of animals. We also see in these tales a special emphasis on blood being transformed into milk or, more originally, on blood being able to purify. Illustrations of sublime virtues, these tales shed light on certain aspects of the Mahâyâna tradition of altruistic asceticism.

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Michel LORRILLARD>

" Aux origines du bouddhisme siamois. Le cas des buddhapâda".

Le bouddhisme siamois ancien – en particulier celui qui s’est développé dans la région de Sukhothai – se distingue par un culte important voué aux empreintes du Buddha (buddhapâda). L’étude des premières d’entre elles, et des inscriptions qui leur sont liées, montre très clairement une influence littéraire cinghalaise. Cette influence a cependant varié dans le temps. D’abord relayée par la Birmanie, elle a été marquée par des textes pâli de composition tardive et a été étroitement associée à une tradition artistique née à Pagan. Par la suite, une iconographie nouvelle et indépendante se développa, inspirée en grande partie par les œuvres canoniques et les commentaires. Certaines références se révèlent toutefois plus difficiles à identifier et relèvent apparemment de traditions locales, fort étrangères à l’orthodoxie cinghalaise. Le buddhapâda peut alors devenir le support de conceptions « tantriques » et se rattacher à un fonds de pratiques reconnues aujourd’hui comme très anciennes. Dans tous les cas, les témoignages relatifs aux empreintes du Buddha nous offrent de précieuses informations pour évaluer la culture religieuse siamoise la plus ancienne.

" Towards the origins of Siamese Buddhism. The case of the buddhapâda"

A distinguishing trait of ancient Siamese Buddhism – and more precisely the form of Buddhism which developed in Sukhothai – is the important cult of the Buddha’s footprints (buddhapâda). The study of the first footprints and related inscriptions shows a very clear Singhalese literary influence. This influence changed with time. Coming first through Burma it was connected with late Pâli works and related to an artistic tradition that originated in Pagan. Later, a new and independant iconography developed, inspired mainly by canonical scriptures and commentaries. Some of the references, however, are not easily identified and may come from local traditions, alien to Singhalese orthodoxy. The buddhapâda may then have become a basis for “tantric” conceptions and been linked to a set of practices now acknowledged to be ancient in origin. Whatever was the case, the Buddha’s footprints offer precious information about Siamese religious culture from earliest times.

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François LAGIRARDE

" Gavampati et la tradition des quatre-vingts disciples du Buddha. Textes et iconographie du Laos et de Thaïlande".

Cet article porte sur un point d’hagiographie bouddhique : l’histoire du disciple Gavampati telle qu’elle est racontée dans les sources « indochinoises » en pâli, lao et thaï. Dans le recueil intitulé Asîti mahâsâvaka nibbâna, Gavampati (souvent confondu, dans les titres de « chapitre », avec Kaccâyana) apparaît comme le premier des quatre-vingts disciples : il est d’abord appelé Brahmaputta, un moine dont l’apparence physique est proche de celle du Buddha lui-même et qui se trouve ainsi moralement obligé à se métamorphoser en un nain gras et bossu. À la suite de cette transformation, le moine prend le nom de Gavampati. Cet épisode explique ainsi les caractéristiques physiques sous lesquelles sont vénérées certaines images de religieux bien connus dans le monde thaï, lao et khmer. Mais ce récit demeure problématique car tous les manuscrits du texte étudié sont bien entendu postérieurs aux premières statuettes du Moine Ventripotent retrouvées en Birmanie et en Thaïlande et datables de l’époque de l’essor du bouddhisme pyu et môn. Ce texte a cependant le grand mérite de systématiquement identifier le moine à Gavampati, quels que soient les manuscrits d’origine. Cette identification est conforme aux hypothèses de Luce exposées dans l’ouvrage de référence Old Burma-Early Pagan ; elle correspond aussi au nom donné, en pays thaï, à certaines amulettes ; elle est enfin structurellement respectueuse de la représentation du Moine dans le groupe de cinq bhikkhu des statuettes du Buddha « aux cent disciples ».

" Gavampati and the eighty disciples of the Buddha. Texts and iconography from Laos and Thailand"

The present paper focuses on a question of Buddhist hagiography: the story of the disciple Gavampati as told in “Indochinese” sources written in Pâli, Lao and Thai. In the collection of texts called Asîtimahâsâvakanibbâna Gavampati is presented as the first of the eighty disciples (in the “chapter” titles he is however often identified as Kaccâyana): he is then called Brahmaputta and depicted as physically resembling the Buddha. To avoid being mistaken for his master, he metamorphoses himself into a fat, hunchbacked dwarf and takes the name of Gavampati. This episode would provide a straightforward explanation to the physical characteristics of some monk images in Thai, Lao and Khmer Buddhism – were it not for one important point: all versions of the text studied here are quite recent compared with the first images of the Fat Monk found in Burma and Thailand and datable to the time of the development of Pyu and Mon Buddhism. However, the text has the merit of consistently identifying the monk with Gavampati, and such identification complies with Luce’s hypothesis stated in Old Burma-Early Pagan. It also matches the name given in the Thai context to a certain kind of amulet and is structurally consistent with the representation of the Monk in the group of five bhikkhus shown in some images called “the Buddha with hundred disciples”.

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Christophe POTTIER

" À la recherche de Goloupura"

Cet article examine un aspect de l’hypothèse émise dans les années 1930 par Victor Goloubew à propos de la première capitale angkorienne, fondée à la fin du IXe siècle par Yašovarman autour du Phnom Bakheng. Alors que l’identification du temple établi au sommet de ce phnom avec le « temple-montagne » de ce roi est désormais considérée comme une certitude, la restitution des limites de la cité – surnommée Goloupura – est nettement moins assurée même si elle a largement contribué – et contribue toujours – à propager l’image de la cité angkorienne entourée d’une enceinte carrée, assez semblable en fait à Angkor Thom. Ce schéma idéal n’a été contesté que tardivement et brièvement par B. P. Groslier en 1979, mais reste encore fréquemment accepté, parfois légèrement modifié, et demeure ainsi très présent dans le paysage des études angkoriennes. L’article propose tout d’abord une réévaluation des arguments à l’origine de l’hypothèse de V. Goloubew. Puis les vestiges existants sont réétudiés suivant des approches complémentaires (analyse spatiale, télédétection, reconnaissances de terrain, examen de données épigraphiques et stratigraphiques) qui s’accordent à nier l’existence de Goloupura. Cette hypothèse devant être abandonnée, une autre interprétation et une nouvelle datation des vestiges monumentaux principaux sont alors proposées. Finalement, ces éléments permettent de brosser un tableau général de l’extension de la capitale de Yašovarman.

" In search of Goloupura"

In this paper, the writer reconsiders an old hypothesis proposed in the 1930s by Victor Goloubew about the configuration of the first Angkorean capital built in the last years of the ninth century by king Yašovarman around his main temple on top of the Phnom Bakheng. Rarely and too briefly contested in the 1970s, this hypothesis – humorously named Goloupura – is still present and influences urban studies at Angkor, lending support to the idea of a square and geometric walled city, a shape supposed to be continuously applied for centuries, until Angkor Thom. The writer re-evaluates the findings of Goloubew’s archaeological research and, using ground checkings, remote sensing, spatial analysis, epigraphic evidence and limited cores, he demonstrates that it is impossible to accept Goloubew’s hypothesis. A fresh inter­pretation and a new dating are then proposed for the most important remains of Goloupura: what was previously considered to be the south-west part of the large moat surrounding the city appears to have been an ingenious waterway allowing a better link between the late twelfth-century capital with the lake Tonle Sap and the fluvial network. Finally, the writer concludes with a general view of the extension of Yašovarman’s capital.

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Christine HAWIXBROCK

" L’art du métal au Laos"

Dans cet article, notre propos a été d’étudier une collection de statuettes du Buddha mise au jour lors d’une fouille de sauvetage sur le site de Huay Sa Hua, dans le Sud Laos, près de la ville de Champassak. Ces statues proviennent d’une cache construite ayant servi de dépôt sacré à l’intérieur d’un monastère dont l’ensemble a été fouillé. Cette collection, qui était en partie en cours de pillage avant que la fouille de sauvetage n’ait lieu, comprenait plus de 200 statuettes bouddhiques, dont la majeure partie en bronze, en or et en argent. Nous nous sommes attachée ici à étudier 108 statuettes en keson dokmai (résine végétale) recouvertes d’une mince feuille d’or ou d’argent. Ces pièces d’orfèvrerie n’ayant pratiquement jamais fait l’objet d’une étude spécifique, il était nécessaire d’en faire l’analyse stylistique et d’en étudier les modes de confection. Certains de ces Buddha portent sur leur socle une courte inscription témoignant de la raison du don de la statuette au monastère et l’un d’eux, daté, permet d’attribuer ces pièces à la fin du XVIIe siècle. Ces images de petites dimensions, qui ont probablement dû voyager facilement à travers le pays, pourraient appartenir à l’art de Luang Prabang (Nord Laos). Leurs caractéristiques stylistiques, sensiblement différentes de celles des grands Buddha en bronze de l’époque, permettent d’affiner la datation de l’art bouddhique du Laos.

" The art of metalwork in Laos"

In this article, our purpose is to study a collection of small Buddhist statues found during a rescue excavation on the site of Huay Sa Hua (south of Laos), located near the city of Champassak. This collection comes from a sacred deposit found inside a monastery which has been completely excavated. The collection, which was partially plundered before the excavation, included more than 200 statues. Most of them are made of bronze, silver and gold. 108 statues made of keson dokmai (vegetate resin) and covered by a thin layer of silver or gold leaf have been studied. Statues such as these have never before been studied. It was therefore necessary to do research on both their style and the process of their manufacture. Some of these Buddhas have small inscriptions on their base, describing the purpose of the gift to the monastery. One of them carries a date which allowed us to date the whole collection to the end of the seventeenth century. This kind of small, easily portable image appears to belong to the art of Luang Prabang. Their stylistic charac­teristics, slightly different from those of the large Buddhas of the same period, could prove useful for refining the dating of the Buddhist art of Laos.

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Pierre PICHARD

" Le hall d’ordination dans le monastère thaï"

Si le hall d’ordination (ubosot) est aujourd’hui le bâtiment majeur des monastères de Thaïlande, et souvent celui qui en abrite la statue la plus vénérée, il n’en a pas toujours été ainsi. Au XIVe siècle, dans le royaume de Sukhothai, les monastères sont généralement centrés sur un stûpa associé au grand hall principal (vihan), et le hall d’ordination, distingué par les bornes rituelles (bai sema) qui l’entourent, se trouve écarté sur le côté, ou à quelque distance lorsqu’il est sur l’axe de l’ensemble. La configuration des grands monastères d’Ayutthaya (1351-1767) reste proche de ce modèle. Ce n’est qu’après la fondation de Bangkok en 1782 que le hall d’ordination, souvent implanté au centre d’une cour entourée d’une galerie couverte, prend son importance actuelle, qui s’est imposée dans tout le pays au détriment des anciennes variantes régionales.

" The ordination hall in Thai monasteries"

Frequently sheltering the most important Buddha image, the ordination hall (ubosot) is today the principal building of a Thai monastery. This was not always the case: in the Sukhothai Kingdom, a stûpa and a large main hall (vihan) mark the centre of most fourteenth-century monasteries, while the ordination hall, surrounded by its boundary stones (bai semas), is built away to one side or, when on the main axis, at some distance. The Ayutthaya monasteries (1351-1767) do not alter this pattern substantially. Only after the founding of Bangkok in 1782, the ordination hall takes its present prominence, often standing alone at the centre of a courtyard surrounded by a roofed gallery. This has become standard throughout the country and has replaced the old regional variations.

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Pierre-Yves MANGUIN

" Les cités-États de l’Asie du Sud-Est côtière. De l’ancienneté et de la permanence des formes urbaines"

Des formes urbaines appartenant à la catégorie des cités-États on été reconnues dans l’Asie du Sud-Est du début des temps modernes. Elles sont habituellement décrites comme l’un des aboutissements du boom économique des XVe-XVIIe siècles, et souvent opposées à des systèmes politiques antérieurs qualifiés de « bâtisseurs de temples », d’États « agraires » ou « impériaux ». Cet essai rassemble des données archéologiques et épigra­phiques qui dénoncent cette opposition. Des booms économiques antérieurs, ressentis à l’échelle de l’Asie tout entière, ont de même été accompagnés d’une dynami­sation du processus de formation de l’État qui a généré des structures politiques et urbaines similaires. Une relecture approfondie des inscriptions émanant de Sriwijaya au VIIe siècle E.C., associée à celle des résultats obtenus lors de recherches archéologiques à Palembang et dans son arrière-pays (le bassin versant de la Musi à Sumatra-Sud), fournit en effet une image de ce système politique malais qui, de façon frappante, correspond à celle donnée par Melaka et les autres cités-États malaises des XVe-XVIIe siècles. Des données partielles recueillies sur les sites archéologiques qui témoignent de l’existence de systèmes politiques (proto-)urbains de l’Asie du Sud-Est côtière remontant aux périodes proto­historiques, et même à la préhistoire tardive, donnent à penser enfin qu’ils pourraient s’insérer dans le même modèle. Cet article se penche ensuite sur le problème de la constitution de cultures de cités-États dans l’Asie du Sud-Est côtière pré-moderne.

" The city-states of coastal Southeast Asia. On the ancientness and permanence of urban forms"

Urban forms belonging to the city-state category are now recognised in Early Modern Southeast Asia. They are routinely described as a remarkable by-product of the trade boom of the 15th-17th centuries and often opposed to earlier “temple-building”, “agrarian” or “imperial” states. This essay presents archaeological and epigraphical evidence that contradicts the latter opposition. Earlier Asia-wide economic booms were also accompanied by an acceleration of the state-formation process, which generated similar political and urban structures. It appears that a closer analysis of the seventh-century A.D. inscriptions of Sriwijaya, together with new data obtained from archaeological excavations in Palembang and its hinterland (the Musi river basin of South Sumatra), provide an image of this Malay polity that is strikingly similar to that obtained for fifteenth-century Melaka and other contemporary Malay city-states. Archaeological data obtained from still earlier (proto-)urban polities of coastal Southeast Asia, up to proto-historical and late prehistorical times, also appear to fit into this same pattern. The article then briefly considers the existence of city-state cultures in pre-modern coastal Southeast Asia.

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PO DHARMA

" L’Insulinde malaise et le Campâ"

L’histoire du Campâ depuis son apparition au IIe siècle est en relation étroite avec l’Insulinde malaise, tant sur les plans politique et matrimonial que sur les plans commercial, culturel et religieux. Ces contacts incessants ont donné lieu à des influences réciproques, dont l’article donne quelques exemples. Avant le XVe siècle, le Campâ était un royaume indianisé de culture sanskrite. Après 1471, le Campâ prit pour assises des cultes, une conception de la royauté et un ordre social relevant d’un fonds autochtone auquel se greffèrent, à partir du XVIIe siècle, des éléments de culture musulmane apportés par des voyageurs malais, non pas par des voyageurs arabes. Et à partir de cette date, la littérature caå a plutôt perçu l’islam véhiculé au Campâ comme un fait malais que comme un fait arabe, et dans une certaine mesure comme un fait de malayisation plutôt que comme un fait d’islamisation.

"The Malay Archipelago and Campâ"

From its beginnings in the second century, the Kingdom of Campâ always maintained close political, commercial as well as cultural and religious contacts with the Malay Peninsula. These continuous contacts have given place to reciprocal influences between the two countries. Before the fifteenth century, Campâ was an Indianised kingdom with a Sanskritic culture. After 1471, Campâ adopted a new conception of royalty and social order by incorporating native elements with the existing ones, and, from the seventeeth century, by adding some elements of Islamic culture, which were brought in by Malaysian travelers, rather than by the Arab voyagers. Since then, Cam literature has portrayed the arrival of Islam in Campâ as the work of the Malays rather than as that of the Arabs; indeed it is, to some extent, presented as an act of “Malayisation” rather than as Islamicisation.

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Anatole-Roger PELTIER

" Regards sur la littérature classique khün de Birmanie"

Les Khün, ou Tai Khün, habitent principalement Chieng Tung, dans l’État Shan de Birmanie. Leur littérature, tout comme celle des autres groupes lao et tai de la péninsule Indochinoise, est étroitement liée au bouddhisme, sans doute parce que les monastères ont, depuis toujours, joué un rôle prépondérant dans la création, la production et la sauvegarde des textes, qu’ils soient religieux ou profanes. Parmi ces textes figurent les nidân dham, ou contes bouddhiques, qui sont, en fait, de véritables romans classiques. Lus dans les monastères ou chez les particuliers lors des cérémonies propitiatoires, ces romans, qui se présentent sous forme versifiée, jouissent d’une grande popularité auprès des fidèles laïques. Cet article vise à donner une vue d’ensemble d’un genre littéraire considéré par les Khün comme l’essence même de leur littérature, laquelle, par ailleurs, présente des similitudes avec d’autres littératures de la région.

" Observations on the classical Khûn literature of Burma"

Khûn People, or Tai Khûn, live mostly in Chieng Tung, in the Shan State of Burma. Their literature, just like that of other Lao and Tai groups of the Indochinese Peninsula, is closely linked to Buddhism, probably because monasteries have always played an important role in the creation, production and preservation of texts, be they religious or profane. Among these texts are the nidân dham, or Buddhist tales, which are in fact veritable classical novels. Read out in monasteries or in private homes during propitiatory ceremonies, these novels, which are in verse, enjoy great popularity among the lay faithful. This article aims at giving an overall view of a literary genre considered by the Khûn as the very essence of their literature – a literature which, incidentally, shares features with other literatures in the region.

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Henri CHAMBERT-LOIR

" Mythes et archives.L’historiographie indonésienne vue de Bima"

Bima, petit royaume des Îles de la Sonde, doit à sa situation sur la route maritime de Melaka aux Moluques un commerce florissant aux alentours du XVe siècle, ainsi que des contacts déterminants avec les cultures javanaise, malaise et makassaraise (Célèbes-Sud). Après sa conversion à l’islam au début du XVIIe siècle et son relatif isolement consécutif à la prise de contrôle de la région par les Hollandais cinquante ans plus tard (1667), Bima développa une littérature historiographique multiforme destinée à affirmer une identité nationale et à légitimer un pouvoir centralisé. Les quatre formes d’historiographie connues (nousantarienne, javanaise, malaise et makassaraise) ne se sont pas substituées l’une à l’autre ; elles se sont au contraire accumulées et interpénétrées au cours des siècles. Le cas de Bima montre que des modes de pensée (conceptions du monde, de l’au-delà et du rapport au temps et à l’histoire) complètement différents peuvent coexister dans les mentalités d’une société. Il offre également un exemple de l’interaction des diverses traditions littéraires indonésiennes, qui gagneraient à être étudiées comme un ensemble.

" Myths and Archives. Indonesian historiography seen from Bima"

Bima, a small kingdom in the Lesser Sunda Islands, owes its commercial activity that flourished around the fifteenth century and its significant contacts with Javanese, Malay and Makassarese (South Sulawesi) cultures, to its geographical situation on the maritime road from Melaka to the Moluccas. After its conversion to Islam at the beginning of the seventeenth century and subsequently its relative isolation due to the seizing of control of the region by the Dutch some fifty years later (1667), Bima developed a multifarious historiographical literature aimed at asserting the history of the nation and legitimising its centralised government. The four known types of historiography (Nusantarian, Javanese, Malay, and Makassarese) did not replace each other ; on the contrary, they became accumulated and intertwined over the centuries. Bima’s case shows that totally different modes of thought (conceptions of the world, of the supernatural world, and of one’s relation to time and history) can coexist in the mentalities of one society. It also provides an example of the interaction of Indonesian literary traditions, which should indeed be studied not separately but as a whole.

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Marianne BUJARD

" Célébration et promotion des cultes locaux. Six stèles des Han orientaux"

Six stèles des Han orientaux (25-220) témoignent de la procédure engagée par des fonctionnaires locaux pour obtenir la reconnaissance officielle d’un ensemble de cultes établis dans les montagnes du district de Yuanshi, situé au sud de la ville actuelle de Shijia zhuang au Hebei. Érigées sur des lieux de cultes voisins et pendant une période limitée, elles ont l’avantage de nous mettre en contact avec un milieu relativement homogène, celui des fonctionnaires à l’échelon du royaume et du district. On y lit de plus une évolution du niveau des fonctionnaires impliqués dans la promotion des cultes : au début l’initiative provient essentiellement de l’administration locale, tandis qu’à l’aube de la révolte des Turbans Jaunes, le principal promoteur des cultes n’est autre que le chancelier du royaume de Changshan (dont relève le district du Yuanshi). Elles nous renseignent aussi sur les différentes catégories de fidèles qui s’assemblent sur les lieux de culte et les maintiennent en activité : population des environs, fonctionnaires, adeptes des cultes d’immortalité, et peut-être, dans la fameuse stèle du Seigneur de la Pierre Blanche, érigée en 183 de notre ère, une association de responsables cultuels se désignant eux-mêmes par des titres administratifs. On y trouve encore plusieurs éléments concernant le financement des sacrifices, le type d’offrandes consacrées, la périodicité des cérémonies. Dans la mesure où de tels cultes ne sont pas consignés dans les annales officielles, ces sources épigraphiques constituent un matériau unique pour élargir notre compréhension de la religion des Han à un niveau local.

" Celebration and Promotion of Local Cults. Six Steles of the Eastern Han"

Six steles erected during the Eastern Han dynasty (25-220) in Yuanshi, near Shijia zhuang (Hebei), give evidence about the procedures followed by local government officials for obtaining the recognition of local cults. Because the places of worship were mountains close to each other geographically and the process of recognition took just a few decades, it is possible to analyse the motivations of the relatively homogeneous milieu that was responsible for the promotion of the cults. These inscriptions show an evolution in the administrative level of the officials involved in the promotion of the cults. At the beginning, support came from the officers on the district level ; at the end, on the eve of the Yellow Turban rebellion, the most active promoter of the recognition personally involved in the worship was the chancellor of the Changshan kingdom to which Yuanshi belonged. In the famous stele of the Lord of the White Stone erected in 183 CE, the emergence of worshipper associations and the considerable financial support they brought to the cult, in addition to official support, may also be observed. Since these cults are not mentioned in the official annals but enjoyed – maybe even during the Western Han – imperial sponsorship, their being recorded in epigraphic sources adds to our understanding of the way officials dealt with local worship on a very concrete level. These inscriptions also give precious information about the variety of actors and worshippers involved in local celebrations.

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Franciscus VERELLEN

" Société et religion dans la Chine médiévale Le regard de Du Guangting (850-933) sur son époque"

La littérature taoïste narrative, avec son insistance sur la religion comme phénomène de la vie quotidienne dans des contextes sociaux variés, constitue une source précieuse pour l’histoire sociale et l’anthropologie historique de la Chine traditionnelle. Dans cet article, l’auteur examine plusieurs genres d’écrits narratifs et fictionnels de Du Guangting – mirabilia, hagiographies, récits de miracles – pour en dégager les observations de première main de Du sur la place de la religion dans la société contemporaine. Son témoignage sur le taoïsme en tant que foi vivante à son époque est analysé sous divers angles : liturgie, politique, conflits sociaux, clergé et société laïque, communautés taoïste et bouddhiste, famille, religion populaire, contexte social de la pratique taoïste. En conclusion, l’auteur montre que le penchant de Du Guangting pour l’observation et l’analyse des comportements religieux dans diverses situations sociales l’emporte souvent sur son intérêt pour l’exposition des doctrines et la spéculation théologique. Il s’ensuit que Du donne sur le taoïsme de la société médiévale des informations comparables, à bien des égards, aux données relatives à la vie et aux institutions religieuses recueillies par les chercheurs en sciences humaines.

" Society and religion in medieval China. Du Guangting’s (850-933) observation of his own time"

Taoist informal writings, with their emphasis on religion as a phenomenon of daily life in various social contexts, can provide valuable data to social historians and historical anthropologists. This paper examines several genres of informal and imaginative writings by Du Guangting – mirabilia, hagiography, miracle literature – for the author’s first-hand observation regarding the place of religion in contemporary society. His record of Taoism as a living faith in his time is discussed under headings comprising liturgy, politics, civil unrest, clergy and laity, the Taoist and Buddhist communities, the family, popular religion, and the social environment of Taoist practice. In conclusion, it is argued that Du Guangting’s penchant for observing and analysing religious behaviour in terms of social situations in many instances prevailed over his interest in doctrinal exposition or theological speculation. As a result, Du provides information on Taoism in medieval society that is in many ways comparable to data on religious life and institutions collected by modern social scientists.

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Christian LAMOUROUX

" Militaires et financiers dans la Chine des Song. Les institutions comptables à la fin du Xe siècle"

On revient ici sur les formes de la centralisation financière qui ont contribué à stabiliser le pouvoir dynastique des Song. L’analyse de quelques carrières de militaires chargés de contrôler l’administration des finances durant les premières décennies de la dynastie fournit l’occasion de repérer les tensions entre plusieurs groupes de fonction­naires gravitant autour de Taizu et de Taizong. La mise en place, à la suite de ces luttes, de commissions chargées des contrôles comptables permet à Taizong de s’appuyer sur des fonctionnaires civils, souvent subalternes, dont les compétences techniques sont de plus en plus valorisées. Peut dès lors se développer et se consolider un pouvoir politique de « prescripteurs », fondé sur des compétences administratives qui leur assurent un double contrôle : celui des ressources financières et celui des informations sur ces ressources.

" Military and financial officials in Song China. Accounting institutions at the end of the tenth century"

This paper deals with the different ways of financial centralisation used to consolidate the power of the early Song rulers. Biographical sources available about some military officials in charge of the financial administration during the period are presented here, in order to shed light on the struggles amongst officials who had great influence on Taizu’s and Taizong’s politics. Following these struggles, several accounting offices were set up, with the result that Taizong was able to strengthen his power thanks to the petty civil servants, who are frequently praised for their professional skills in managing these offices. This marked the beginning of a new kind of political power, based on « prescriptions » made by these officials, whose administrative skills provided them with control both over the finances and over information related to financial matters.

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John LAGERWEY

" Du caractère rationnel de la religion chinoise"

La thèse soutenue dans cet article est que le comportement religieux chinois, tel qu’on l’observe à l’échelon local, suppose un système symbolique commun qui est « approprié à la situation socioéconomique ». Basé sur un travail de terrain dans les parties habitées par les Hakka du Nord-Est de la province de Guangdong, il examine une vallée « idéal-typique » coupée par une rivière qui divise un village monolignager d’un village plurilignager. Il y a une « logique profonde de l’occupation lignagère de l’espace », qui est fondamentalement monopolistique et conduit, si le lignage arrive à ses fins, d’un ancêtre fondateur unique à un lignage dominant qui a chassé tous les rivaux de l’écosystème que constitue la vallée. C’est dans ce contexte que le souci intense, lors de la construction d’une maison ou d’une tombe, de la captation symbolique du pouvoir spirituel du paysage au moyen de la géomancie prend tout son sens. Si les ancêtres représentent le lignage comme entité « publique », sociale, ce sont les dieux qui représentent la vallée comme un tout, c’est-à-dire comme un écosystème social partagé. Les dieux les plus importants sont les dieux villageois du sol, qui protègent le village des envahisseurs surnaturels. Il arrive souvent que des villages, représentés par leurs dieux du sol, appartiennent à des alliances plus larges formées autour de divinités hébergées dans des temples. Les processions à travers le territoire du dieu font partie intégrante des célébrations communautaires. Les démons, enfin, sont des puissances spirituelles qui, contrairement aux dieux, ne sont pas attachées à un lieu précis et doivent être régulièrement « invitées », nourries, et chassées en des lieux rituels en aval du village. Cet espace religieux surpeuplé reflétait un espace socioéconomique surpeuplé, situation qui engendrait « une approche stratégique et opportuniste de la survie ».

"On the Rational Character of Local Chinese Religion"

The basic thesis of this essay is that Chinese religious behaviour as observed on the local level involves a symbolic system common to all that is “appropriate to the socio-economic context.” Based on fieldwork in the Hakka parts of north-eastern Guangdong, the article examines an “ideal-type” valley bisected by a river which divides a uni-lineage from a multi-lineage “village”. There is an “inner logic of the lineage occupation of space”, a logic which is essentially monopolistic and leads, if the lineage is successful, from a single founding ancestor to a fully articulated major lineage which has driven all rivals from the valley ecosystem. It is in this context that the intense concern, when building a house or a tomb, with symbolic capture of the spiritual power of the landscape by means of geomancy makes sense. If the ancestors represent the lineage as a “public”, social entity, it is the gods who represent the valley as a whole, that is, as a shared social ecosystem. The most important are the village earth gods, who protect the village against supernatural invaders. Not infrequently, villages represented by their earth gods will belong to larger alliances built up around gods housed in temples. Processions throughout the god’s territory are a standard part of communal celebrations. Demons, finally, are spiritual forces who, unlike gods, are not tied to a fixed place and must be regularly “invited”, fed, and driven away at ritual sites downstream from the village. This overcrowed religious space reflected an overcrowded socio-economic space, a situation that engendered “a strategic, opportunistic approach to survival”.

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Catherine CLEMENTIN-OJHA

" Être un brahmane smârta aujourd’hui. Quelques points de repère à partir d’une enquête ethnographique à Bénarès"

L’étiquette « smârta » recouvre des réalités hindoues tellement mouvantes qu’on s’étonne qu’elle puisse être opérante dans la vie quotidienne : elle concerne à la fois des normes textuelles et les hommes qui les observent ; elle renvoie de manière privilégiée aux brahmanes qui, parce qu’ils font de la smñti (la tradition d’origine humaine basée sur la Révélation du Veda) l’autorité absolue, sont qualifiés d’« orthodoxes » dans la littérature indianiste. Mais qui sont les brahmanes smârta aujourd’hui ? Partant du constat que la smñti et le calendrier réservent certaines dates festives associées à Viýæu aux « Smârta » et d’autres aux « Vishnouites », l’auteur conduit une enquête dans le milieu des brahmanes lettrés de la ville de Bénarès afin d’examiner comment ses interlocuteurs comprennent les deux mentions. Elle observe que l’opposition au vishnouite est constitutive de la manière dont ils se perçoivent. Mais elle constate aussi que sous l’étiquette smârta dont ils s’affublent, affleurent les catégories de shivaïte et de vishnouite, qui, dans un hindouisme marqué par la bhakti, sont des catégories autrement plus pertinentes. En fait, les brahmanes smârta se répartissent selon des critères théistes proches de ceux qui les opposent en bloc aux brahmanes membres des sectes vishnouites.

"Being a Smârta brahmin today A few landmarks from an ethnographic survey in Benares"

The label “smârta” refers to such shifting Hindu realities that it is difficult to see how it operates on a daily basis: it concerns both textual norms and the men who live by them; it concerns especially the brahmins whom indological literature calls “orthodox” because they hold the smñti (the human tradition based on the Vedic Revelation) to be the absolute authority. But who are the smärta brahmins today? Starting from the observation that smñti literature and the calendar relate some festive dates connected with Viýæu to the “Smârtas” and others to the “Vaishnavas”, the author inquired among the learned brahmins of Benares in order to ascertain how they understand and define both mentions. It appears that the opposition to the Vaishnavas is necessary to the definition of themselves as smârta. Yet the categories of Shaiva and Vaishnava show through the surface of their label “smärta”, and it is argued that these categories are a far more apposite description of reality in an Hinduism marked by bhakti. The Smârta brahmins are in fact divided according to theistic criteria which bear close resemblance to those which distinguish them as a whole from the brahmins belonging to the Vaishnava sects.

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Anne BOUCHY

" La cascade et l’écritoire. Dynamique de l’histoire du fait religieux et de l’ethnologie du Japon : le cas du shugendô"

Le shugendô, « voie des pouvoirs par l’ascèse », dont les origines remontent à celles de la civilisation du Japon, est un champ récemment défriché du fait religieux de ce pays. L’article retrace l’historique des recherches sur le shugendô. Commencées dans les années 1920-1930, elles sont entreprises avec les méthodologies et les problématiques de l’histoire, de l’ethnologie, de l’anthropologie culturelle, des sciences des religions, et ont participé à la remise en question scientifique opérée par et dans les sciences humaines dans la seconde moitié du siècle. Il présente les grandes séries de publications sur le sujet, les méthodes de recherche et leurs résultats, qui font apparaître le shugendô comme l’espace privilégié de la « territorialisation » des divers éléments venus du continent et de leur fusion avec la base autochtone, et le caractérisent comme « tissu conjonctif » des différents aspects de la religion au Japon, comportant à la fois face institutionnelle et lignées spirituelles « essentialistes » visant le « retour aux origines ». Il situe la place que les études occidentales sur le sujet occupent dans ce cadre et, par l’évocation du cas précis de l’étude sur l’un des derniers pratiquants de l’ascèse du shugendô, Jitsukaga, il illustre la dynamique des modalités de la recherche et de la construction de leur objet.

" The cascade and the writing case. The dynamics of religious history and ethnology in Japan: the case of the shugendô"

The shugendô, the way of powers by asceticism, is a feature of the Japanese religious landscape as old as Japanese civilization itself but only recently uncovered. This article presents a history of studies on the shugendö. Beginning in the years 1920-30, research has been undertaken using the methods and approaches of history, folklore, cultural anthropology, and religious studies. The author presents the main series of publications on the subject, their methodologies and results. These reveal the shugendô as the archetypal space of the “territorialization” of divers elements derived from the continent and their fusion with indigenous tradition. They characterize it as the “conjunctive tissue” of the different aspects of religion in Japan, comprising at the same time the institutional face and “essentialist” spiritual lineages aiming at the “return to the origins”. The author also situates the place of Western studies in this framework and offers an illustration through the case of one of the last exponents of shugendö asceticism, Jitsukaga.

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