Aséanie, 22, décembre 2008

De la segmentation sociale à l’ethnicité dans les suds péninsulaires ?
Réflexions sur les constructions identitaires et les jalons ethniques à partir de l’exemple des pêcheurs birmans du Tenasserim

Maxime Boutry et Jacques Ivanoff

Les interrelations culturelles entre pêcheurs birmans et Moken dans le Tenasserim (sud de la Birmanie) permettent de remettre à jour le débat sur l’ethnicité. Qui sont donc ces pêcheurs vivant à l’écart des structures sociales communes aux Birmans du continent, sur les flottilles de l’archipel Mergui où les intermariages entre les deux groupes sont systématiques ? Des Birmans ethnicisés ou des Moken en voie de birmanisation ? Cet article considère les constructions identitaires nées de la rencontre entre une ethnie dominante et une ethnie minoritaire de nomades marins confrontés à une récente colonisation de leur environnement, révélant dans une dynamique contemporaine les interrelations historiques entre nomades et sédentaires, entre un centre souvent illusoire et ses « périphéries ». Du débat sur l’ethnicité surgissent également la question des frontières ethniques et celle d’un fonds culturel persistant qui s’exprime précisément dans ces interactions, soit un double mécanisme de résistance et d’adaptations, jusqu’à la rupture qui conduira un groupe social à se segmenter pour éventuellement devenir une ethnie, des processus que vient éclairer l’exemple d’autres groupes de la péninsule Malaise.

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La monture de conque inscrite du Musée national de Phnom Penh. Relecture de l’inscription angkorienne K. 779
Dominique Soutif

La monture de conque en bronze conservée au Musée national de Phnom Penh est l’un des rares exemples connus de ce type d’objets et le seul dont on connaisse la provenance : le Preah Khan d’Angkor. Le coquillage qu’elle accueillait étant perdu, son usage — instrument à vent ou conque à eau lustrale — reste difficile à préciser. Quoi qu’il en soit, le texte inscrit sur ses flancs, K. 779, témoigne du fait que cet accessoire de culte fut offert par Jayavarman VII à l’une des divinités du Preah Khan, le Kamrate Jagat Śrī Vīrendreśvara.

Cette courte inscription souligne l’intérêt de documenter soigneusement les sources épigraphiques. Quarante ans après sa publication par George Cœdès, de nouveaux documents ont en effet permis d’améliorer sensiblement l’édition qu’il en avait proposée. Cette inscription « étiquette » apparaît alors comme l’une des plus complètes de ce type. Elle permet d’identifier la chapelle où la conque était utilisée et précise que Vīrendreśvara était situé « auprès » du Kamrateṅ Jagat Śrī Yaśovarmeśvara, connu comme la divinité principale du complexe sud de Preah Khan. Elle confirme ainsi la répartition géographique et la hiérarchie des divinités de ce temple.

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Écritures et histoire : le cas du Laos
Michel Lorrillard

Cet article s’intéresse à l’origine des écritures lao, en prenant pour base les plus vieilles inscriptions retrouvées au Laos. L’étude de leurs graphies et de leurs systèmes de notation est placée dans le contexte de l’histoire des écritures tai en Asie du Sud-Est, qui demeure très controversée. Les résultats de recherches de terrain menées au Laos et dans le nord-est de la Thaïlande révèlent que l’apparition des écritures lao est étroitement liée à la diffusion de la culture du Lan Na et plus particulièrement du bouddhisme. L’inventaire récent du corpus épigraphique permet de mieux percevoir la façon dont les écritures, laïque et religieuse, se sont propagées dans l’ancien royaume du Lan Xang — et de comprendre les modalités de leur développement.

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De l’élaboration de l’identité birmane comme hégémonie à travers le culte birman des Trente-sept Seigneurs
Bénédicte Brac de la Perrière

L’identité birmane est intrinsèquement liée au bouddhisme du Theravāda. Cependant, on s’interrogera plutôt ici sur la part du culte des Trente-sept Seigneurs dans l’émergence de cette identité hégémonique. L’analyse des processus, toujours actifs, de formation de ce culte montre qu’il constitue un dispositif de birmanisation dont l’autorité repose sur la référence à la royauté bouddhique. La manière dont la birmanisation opère dans ce contexte est examinée à partir du cas de l’incorporation d’un culte kethè (nom birman des Manipuri déplacés en Birmanie à la fin du XVIIIe siècle) dans le culte birman de la Dame aux flancs d’or célébré par les médiums du culte des Trente-sept Seigneurs, à Myittu. La localisation et la stigmatisation du culte d’origine en tant que « tradition » permettent aux médiums birmans d’apparaître comme les tenants de la culture birmane bouddhique. En contrepoint, la mémoire collective des Kethè est vidée de son contenu et réduite à l’idée d’une origine. Le culte des Trente-sept Seigneurs émerge ainsi de contenus identitaires pluriels et constitue quant à lui un niveau identitaire supérieur procédant de la hiérarchisation de ces autres identités. De la même manière, la « birmanité » est construite sur l’écart entre une identité centrale et des identités plurielles, un écart qui se fonde, au sein d’un même « espace social », sur l’autorité du bouddhisme.

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Jeux d’échelle et enjeux : Dynamiques identitaires des cérémonies processionnelles en Birmanie bouddhique
François Robinne

Les régions de Thibaw et de Nyaung-Shwé (lac Inlé), respectivement au nord et au sud de l’État shan de Birmanie, sont caractérisées toutes deux par une diversité linguistique et culturelle qui n’a d’égal que la dynamique des relations villageoises. L’administration hiérarchisée des puissants princes shan (sawbwa) y régula jusqu’au coup d’État birman de 1962 les réseaux d’échanges économiques et religieux.
Le développement contrasté des cérémonies processionnelles bouddhiques d’Inlé et de Thibaw participe au processus de recomposition des relations interethniques et à la cohérence d’ensemble. Les deux processions connurent une évolution contraire : la première se développa de façon conséquente dans l’espace et dans le temps, tandis que la seconde retrouva sa forme originelle de fête de pagode. Les effets n’en furent pas moins similaires : dans les deux cas le processus engagé joua au détriment, sinon des réseaux d’échange, du moins des rapports de force.

Resitués dans la dynamique interethnique où ils évoluent, les rituels processionnels font de moins en moins office de vecteur privilégié du lien communautaire et du processus d’appropriation du paysage social. La captation de ces rituels par le pouvoir central birman s’accéléra au tournant des années 1990, avec notamment la création d’une parade sur le lac Kandawkyi à Rangoun. À dominante corporatiste, elle est une forme sécularisée des rituels bouddhiques dont elle s’inspire.

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Flexibilité de l’économie chez les Hmong de la haute région du Viêt-nam septentrional
Jean Michaud

Des groupes de minoritaires hmong de la province de Lào Cai, sur les hauteurs du nord Viêt-nam, paraissent suivre un chemin vers la modernité économique défiant les pronostics convenus, alors que le Viêt-nam lui-même se met à l’heure du marché mondial à un rythme accéléré. À travers un examen dans la durée des activités économiques des Hmong de cette région, l’auteur propose trois approches pour tenter d’expliquer cette originalité contribuant significativement à la pérennisation de l’identité hmong : la thèse de la modernisation économique, celle de la résistance paysanne, ainsi qu’une thèse qu’il appelle la flexibilité sélective.

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